40TH ANNIVERSARY

La collection Rocky Mountain de Jeff

Jeff's Rocky Mountain Collection



Le superbe vélo que vous voyez est l’un de mes biens précieux. J’ai toutefois décidé de passer à autre chose. Remontons à deux vélos dans la chronologie de mes montures. J’avais un Rocky Mountain Stratos : un vélo en aluminium polyvalent, solide et viril. Je l’ai adoré. J’ai économisé mon argent et donné un vélo en échange pour me le procurer. Un beau matin d’automne, je l’ai enfourché pour aller prendre un café avec un ami. En chemin, j’ai tout bonnement eu la réflexion que c’était le genre de vélo que je devrais assurer. Je l’ai verrouillé, je suis allé prendre un café et à mon retour, il avait disparu.

Au printemps, j’ai décidé de m’acheter un vélo de pointe (pour le début des années 1990) : tubes en fibre de carbone collés à des raccords en aluminium avec un adhésif universel magique, pièces Shimano XTR haut de gamme, fourche Rock Shox Mag 21. J’avais juste oublié deux choses : ma blessure au dos et la géométrie du petit nouveau. Comme je travaillais dans un magasin de vélo et que je ne suis pas idiot (eh oui, il arrive que des idiots travaillent dans ces magasins), j’ai tenté d’imaginer comment je me sentirais sur mon nouveau vélo non testé en essayant des vélos ayant une géométrie semblable. Échec total. Résultat : j’ai passé l’été à rouler sur un vélo que je trouvais inconfortable, et j’ai dû trouver une solution.

Je ne pouvais absolument pas me payer un nouveau vélo. Cependant, j’avais vu un cadre intéressant dans un recoin d’une autre boutique en ville, qui semblait me supplier de le prendre chaque fois que j’y allais. C’était un Rocky Mountain Vertex (celui sur la photo, le « Grand V ») qui ressemblait plus à mon Stratos. J’étais jeune et surtout tanné d’être inconfortable en pratiquant le sport que j’aimais, alors j’ai refait le même pari. Enfin, en partie. J’avais essayé quelques Vertex pour voir s’ils étaient confortables, et ils l’étaient. Comme de vieilles pantoufles.

C’est difficile de monter un vélo en pièces détachées. Quiconque l’a déjà fait vous le dira. Il me fallait une nouvelle tête de fourche, un nouveau jeu de pédalier et quelques autres pièces. Mais le Grand V et moi, ça a cliqué. J’ai vite commencé à participer à des courses amateurs à Canmore et à Hinton, voyageant à Edmonton (à 25 °C, je prenais l’autobus, je ne suis pas si fou quand même!) et m’exerçant à River Valley. J’ai passé des fins de semaine à rouler à Banff et à Jasper. Chaque été, je faisais un voyage à North Vancouver et à Whistler pour vivre des sorties mémorables (sans oublier l’après-vélo).

J’ai déménagé aux États-Unis et j’ai amené le Grand V avec moi jusqu’à San Jose, en l’appuyant chaque nuit contre le mur de ma chambre d’hôtel. Prenez ce que vous voulez dans ma voiture, mais cette fois vous n’aurez pas mon vélo! J’ai réduit mes sorties à vélo, mais j’ai continué de l’utiliser pour me déplacer et explorer la région de la baie de San Francisco. L’université prenait beaucoup de mon temps et de mon argent. Mais nous avons tout de même eu 10 bonnes années ensemble.

J’ai ensuite déménagé à San Diego. Une famille, un nouvel emploi. Est-ce que je roule beaucoup? Plus tellement, non. Mais j’adorais quand même parler de mon vélo.

L’année 2014 était bien installée quand mon premier rejeton et moi avons eu la chance de participer à un périple de 450 kilomètres sur sept jours, de Yuma en Arizona à Encinitas en Californie. En plein entraînement, la manette de dérailleur de droite de mon Grand V se brise. C’est une pièce importante, certes, mais ce n’est pas un problème; j’irai au magasin de vélo la faire changer. « Nous n’avons plus cela en stock », me dit-on. Aucun problème, je ferai appel à Google. Tiens, en voilà une… mais pourquoi la description dit « vintage »?


Vintage? J’étais aussi déstabilisé qu’un porte-bidon à moitié dévissé. Grand V m’a suivi pendant presque un quart de siècle (si vous n’avez jamais possédé quelque chose pendant aussi longtemps, mauvaise nouvelle : ça sera votre tour un jour!). Comme les Beatles l’ont déjà chanté : « Je ne suis plus la moitié de l’homme que j’étais ». Pour ma part, je suis plutôt 25 % plus imposant. Le cadre de mon Grand V menace de plier sous mon poids, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. C’est même difficile de trouver une tige de selle qui convient, car plus personne n’utilise cette taille de tige. Je le sais parce qu’elle a cassé quand j’ai soulevé mon vélo pour l’installer sur le support. La tige de selle qui a supporté mon postérieur grossissant pendant près de 25 ans a décidé de céder le jour où j’allais vendre mon vélo. Supplication pour que je le garde? Réaction passive agressive à ma décision de le vendre? Et si c’était arrivé pendant notre périple? Je n’aurais probablement pas pu trouver les pièces qu’il me fallait pour terminer cette aventure unique et ce rite de passage avec mon premier rejeton.



Le cadre est encore solide, mais il est temps de passer à autre chose. De garder les souvenirs, mais de se détacher du passé. J’ai acheté un nouveau Rocky, un beau Pipeline orange que j’ai baptisé le « Creamcycle ». Parfait pour le vélo de montagne, mais pas pour le grand périple. Le Solo est donc venu s’ajouter à ma flotte. Je ne connaissais pas bien ces modèles, et les tailles ont beaucoup changé, comme mon style de pilotage (je ne fais plus de course et je vois que presque tout a changé maintenant), mais les deux sont confortables et m’ont redonné l’envie de rouler.

Quarante ans et quatre Rocky Mountain plus tard, je n’ai jamais été déçu!
 
Jeff Godun

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